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Les dompteurs de couleuvres

par Réjean Roy en collaboration avec Carole Lesage  
Photo: Annick Boivin
Pourquoi dompter ces horribles couleuvres, me demanderez-vous? Vous avez horreur de ces petites bestioles? Sachez que c'est normal; c'est même ancestral. Cette peur est inscrite dans vos gènes. Sachez qu'il est facile de la surmonter. À quoi tout ça peut-il servir? Au jardin! Car si on veut éviter d'y mettre des pesticides, la couleuvre est un allié indispensable. Si on en a peur, dompter nos couleuvres est la solution. Comment? Voici un récit tout simple qui vous aidera à comprendre pourquoi.

C’est l’histoire d’un couple de personnes retraités, mon oncle et ma tante, propriétaires d'un jardin autofertile. Afin de n'avoir à mettre aucune forme de pesticides, ils avaient fait de petits aménagements au jardin pour attirer les alliés et ainsi laisser la nature "faire le ménage" de façon naturelle.

Avec le précieux paillis au jardin, on améliore de beaucoup la fertilité, et ça protège le sol contre les agressions du soleil, de la pluie, etc. Mais en contre-partie, on attire les limaces. Pour remédier aux attaques de ces petites "bibittes", on aménage de petits plans d'eau répartis à plusieurs endroits du jardin pour attirer les prédateurs des limaces: nos amies les grenouilles. Plus on aura de grenouilles, moins on aura de limaces. Les plans d'eau rendent la vie agréable aux grenouilles, et en échange, celles-ci nous aident à contrôler la population de limaces.

Mon oncle me demandait s'il devait éliminer les couleuvres pour ne pas que celles-ci viennent "manger ses grenouilles", car il voulait les protéger. Oh non! lui dis-je. Il ne faut pas aller contre les lois de la nature! Les couleuvres, en plus de manger certaines "bibittes" indésirables au jardin, nous aident à contrôler la population de grenouilles. Mais comment ça? En mangeant des grenouilles, il va en rester moins! me dit-il. Mais non, au contraire! lui répondis-je. Dans la nature, chacun choisit toujours la facilité, car c’est la loi du moindre effort. Les couleuvres n’attrapent pas les grenouilles les plus fortes et les plus rapides, donc les plus en santé, mais au contraire elles vont choisir la plus facile à prendre, soit la grenouille blessée, malade ou trop vieille. Ces grenouilles, de toute façon, ne sont en général plus capables d'assurer leur propre survie, et ainsi, elles ne sont plus très utiles au jardin non plus. En ne gardant au jardin que les grenouilles en santé, on évite l'épidémie qui en décimerait un plus grand nombre. Celles qui restent, étant les plus fortes, ont une meilleure reproduction et engendreront plus de descendants, augmentant ainsi la population de grenouilles. Celle des couleuvres augmentera elle aussi pour continuer à faire un bon contrôle de toute cette population sautillante.

- Horreur! s'écrie ma tante. J'ai peur quand je touche une de ces "immenses bestioles" en travaillant au jardin. Je n'oserai plus retourner dans le jardin s'il y a plus de couleuvres.

- Pourquoi ne pas les dompter? lui ai-je répondu.

- Ah non! Je ne suis pas capable de faire ça, j'ai trop peur, me dit-elle.

- Justement, c'est cette peur qui va te servir à éduquer tes couleuvres, lui dis-je.

- Comment ça? rétorqua-t-elle.

Facile! La couleuvre recherche la facilité, comme tout animal sauvage. Utilisons sa "paresse" à notre avantage, ai-je répondu. On sait que chaque matin, elle va devoir se réchauffer sur la jolie pierre plate que tu as aménagée au jardin avec chacun de tes plans d'eau. On sait aussi qu'une fois réchauffée, elle ira "faire sa journée" dans le jardin.

Revenons un peu sur la peur des couleuvres. C'est le biologiste Conrad Lorenz qui a dit que dans notre histoire, lorsque les hommes étaient encore à demi des singes, le serpent était le seul animal capable de venir nous surprendre et nous attaquer dans les arbres. L'homme a gardé une peur ancestrale de tout ce qui est rampant. Il peut utiliser son mental pour apaiser cette peur, et celle-ci peut être maîtrisée en une fraction de seconde seulement, dans les cas où il a des contacts fréquents avec les serpents comme dans les zoos. En contre-partie, cette maîtrise peut prendre quelques secondes lorsque l'on a peu de contacts avec eux. Mais chaque fois que l'on voit un serpent ou une couleuvre, il est normal de réagir. Il n'en tient qu'à nous de laisser cette peur nous contrôler ou de décider de la dompter. Alors, si on veut apaiser notre peur, on a qu'à dompter nos couleuvres de façon à ce qu'elles ne nous surprennent plus.

- Oui mais, comment on fait ça? me demanda ma tante.

L'APPRIVOISEMENT
Facile! lui répondis-je. Le matin, la couleuvre est habituellement sur sa roche. On n'a qu'à s'assurer qu'elle soit bien là et ne pas la déranger. Elle apprendra vite à nous reconnaître et elle comprendra vite que nous ne la dérangerons pas, donc elle ne se sauvera plus en notre présence. Sur la roche, on s'attend à la voir, on ne sera pas surpris, donc pas de peur ni pour nous, ni pour elle. Tant qu'elle est sur cette roche, elle n'est pas ailleurs, donc pas de surprise là non plus.

- Oui, mais quand elle n'est plus sur sa roche, demanda ma tante, je fais quoi?

Alors là, ce n'est plus pareil, lui dis-je. Pour ne pas se faire surprendre, il suffit de faire en sorte que ce soit elle qui s'arrange pour ne pas nous surprendre. Alors, chaque fois qu'on la voit ou qu'on l'entend se déplacer dans le paillis du jardin, on lui court après et on brasse le paillis tant qu'elle n'est pas à au moins six pieds de nous. Elle apprendra vite "la distance tolérée" et, pour ne pas se faire "attaquer", elle va se déplacer dès qu'elle nous percevra. En passant, sachez que les couleuvres nous perçoivent à au moins 20 pieds. Ainsi, elle va contrôler ses déplacements pour être toujours à au moins six pieds de nous. Alors, quand on s'approchera du jardin et que l'on entendra bouger au loin, ça ne nous surprendra plus. Il n'y aura plus de danger de marcher ou de lui mettre la main dessus, alors disparue la peur des couleuvres au jardin.

Moins d'un mois plus tard, c'est fait. Nos couleuvres sont domptées pour répondre à nos besoins et nos peurs, "fondues comme neige au soleil".

- Lorsque c'est un étranger qui arrive au jardin, elles se sauvent et se cachent, mais quand c'est moi, elles restent sur la roche, dit mon oncle. Je peux même la toucher maintenant, et elle ne bouge pas. Quand ce sont mes petits enfants par contre, elle s'enfuit avant même qu'ils soient arrivés au jardin.

Et depuis, le jardin, les limaces, les grenouilles, les couleuvres, mon oncle et ma tante vivent heureux, sans peur et en harmonie. Mon oncle et ma tante sont devenus dompteurs de couleuvres, les couleuvres dompteurs de grenouilles, les grenouilles dompteurs de limaces et les limaces se font rares, mais ça, c'est une autre histoire.
Article paru dans le magazine Bio-bulle no 49
Juin 2004
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