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Un blé aristocratique et renaissant: l'épeautre

par Monick Juliette Élie, B.A., n.d.  
Au pays de Sault, à environ 1000 mètres d'altitude dans les Pyrénées (France), le brigadéu a la cote : une soupe longtemps mijotée faite à partir de grains du petit épeautre. Dans cette région montagneuse, le brigadéu réchauffe le paysan au retour des champs; on dit même que pour affronter la neige du petit matin, cela lui donne du cœur au ventre. Encore des femmes qui savent s'y prendre avec leur homme!

De ce côté-ci de l'Atlantique, les gens qui ont épousé la cause de l'alimentation saine découvrent avec bonheur de nouvelles céréales grâce à cette formidable mission que se sont donnée les magasins d'aliments naturels de les faire connaître, mais grâce aussi à ces belles entreprises qui ont le courage de distribuer des farines de qualité. L'épeautre regagne peu à peu les champs de culture d'Amérique du Nord, nous serons bientôt nombreux à rechercher "son petit goût de terroir".

RETOUR AUX SOURCES
L'épeautre, appelé joliment blé vêtu, a tout de même été la céréale de base de plusieurs peuples d'Europe continentale, où il concurrençait le froment dès l'âge du bronze jusqu'à l'âge du fer (2e et 1er millénaires respectivement av. J.-C.). Mais l'histoire de l'humanité est parfois retorse: ce que l'on chérit pour ses qualités pendant une longue période peut disparaître ostensiblement pendant une autre pour des raisons diverses, mais hélas! comme aujourd'hui, pour une question de rentabilité. Les grains d'épeautre recouverts d'une enveloppe dure requièrent de les monder avant de les moudre. L'opération dans le passé pouvait s'avérer coûteuse en temps et en argent. C'est du moins ce qu’a révélé l'examen des techniques anciennes des siècles précédents. Le blé s'est donc propagé plus rapidement.

Mais il y a aussi de petites histoires mesquines qui ont terni la réputation de l'épeautre. Au Xe siècle, par exemple, on appelait le petit épeautre "engrain" (le nom est resté de nos jours) que l'on affublait des épithètes "triste et sombre", car il donnait du pain noir, un pain de pauvres, de nature rude et colorée, et pour lequel toutes les autorités religieuses lui interdisaient le privilège d'être utilisé pour célébrer l'Eucharistie (voilà matière à faire sourire le maître Jésus du haut de sa voûte céleste, lui qui partageait le pain essénien avec ses disciples!). Il fallut attendre le XIIIe siècle pour communier à l'épeautre.

Pourtant, sainte Hildegarde de Bingen (1098-1179), la célèbre abbesse au savoir immense que princes et prélats consultaient, n'avait pas attendu ni édit royal ni conclave pour intégrer l'épeautre à sa médecine. Voici ce qu'elle en disait dans un traité: "L'épeautre est le meilleur des grains; il est chaud, gras et vigoureux et plus doux que d'autres espèces de céréales, il donne à celui qui en mange une chair et un sang sains et il met l'esprit de l'homme de bonne humeur. Quelle que soit la forme sous laquelle les hommes le mangent (...), il est bienfaisant et doux." Elle en fit un remède qu'elle disait administrer aux malades qui ne pouvaient manger, mais qui pourraient digérer cette concoction : faire bouillir des grains d'épeautre dans de l'eau, ajouter de la "graisse" ou du jaune d’œuf afin que le mélange soit absorbé plus facilement par le malade et "il sera guéri intérieurement comme par un onguent bienfaisant et sain". Recommandations d'Hildegarde : pour troubles de l'estomac, de l’intestin et douleurs osseuses.

LES PRINCIPALES ESPÈCES D’ÉPEAUTRE
Du point de vue phytogénétique, l'épeautre a des gènes de résistance à certaines maladies en agriculture – la balle qui enveloppe le grain permet à ce dernier de résister aux champignons. L'épeautre de culture biologique nécessite moins d'agents de fertilisation, un avantage certain. Triticum spelta désigne le grand épeautre, et Triticum monococcum le petit épeautre ou "engrain". Ils sont tous deux panifiables et appréciés pour leur bon goût (se rapprochant légèrement de la noisette). Concassé ou entier (il est préférable dans ce cas de le laisser tremper toute une nuit), l'épeautre se cuit comme du riz. Aujourd'hui, les magasins d'aliments naturels offrent un éventail de produits à l'épeautre : sacs de grains, farine, pâtes alimentaires, mélanges à crêpes et à muffins, etc.

Même s'il contient du gluten, plusieurs praticiens s'accordent pour dire que l'épeautre est mieux toléré que le blé chez les personnes sensibles (mais prière de s'abstenir si l'on est intolérant au gluten).

CONSIDÉRATIONS NUTRITIONNELLES
Le grand épeautre contient parfois de 12 à 16% de protéines, est riche en magnésium (selon le lieu de culture) et, comme son cousin le blé, présente une palette d'autres minéraux – calcium, fer, zinc, potassium, phosphore, etc. –, des vitamines B1, B2 et passablement de fibres.

RECHERCHES EN COURS
Un communiqué d'Agriculture et Agro-alimentaire Canada indiquait récemment, sur un site Internet, que l'épeautre suscite l'intérêt des chercheurs. Un programme national de recherches dans le domaine des produits et procédés de cultures biologiques a été mis sur pied; les résultats de ces travaux serviront à créer une base de données qualitatives sur les blés anciens. Sur ce chapitre, on apprend que le petit épeautre contient des composés qui semblent réduire les risques de dégénérescence de l'œil, de maladies cardiaques et de cancer. À suivre!

PETITS PLAISIRS À L’ÉPEAUTRE
Deux bières brassées au Québec ont l'épeautre comme ingrédient principal :
  • La Blonde d'épeautre (5% d'alcool), une des bières Nouvelle-France que l'on peut déguster sur le site touristique de la Seigneurie Volant, à Saint-Paulin.
  • La Sainte-Barbe (4,5% d'alcool), épeautre et blé noir biologiques, à déguster au Bilboquet de Saint-Hyacinthe.

SOUPE À L’ÉPEAUTRE
Cette recette est une adaptation du brigadéu français

2 c. à soupe d’huile d’olive
1 oignon piqué de 3 clous de girofle
3 gousses d’ail broyées
2 branches de céleri avec leurs feuilles, coupées en tranches fines
6 carottes coupées en rondelles
2 poireaux coupés en lamelles
1/2 tasse de grains d’épeautre
2 à 3 cubes de bouillon de légumes
Sel de mer et poivre au goût

Avant de faire la soupe, laisser tremper les grains d’épeautre dans un bol d’eau toute une nuit. Retirer le lendemain les grains gonflés.

Dans un chaudron à soupe, faire revenir pendant quelques minutes, dans l’huile d’olive, ail, céleri, carottes, poireaux et, délicatement, l’oignon piqué.

Y déposer les grains d’épeautre, les cubes de bouillon et l’eau.

Laisser mijoter pendant 2 heures à feu moyen-doux.

Saler et poivrer à la fin.


Références :
  • Breindl, Ellen, "Hildegarde de Bingen, une vie, une œuvre, un art de guérir en âme et en corps", Éditions Dangles.
  • Site Internet : www.art.hist.com
Article paru dans le magazine Vitalité Québec Numéro 58
Octobre 2002
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